La violence à l’Ecole: intimidation et brimade, bizutage et harcèlement

 

Philippe  ARQUES

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copyright : phiippe arques

 

Mots clés : violence, intimidation, brimade, bizutage, harcèlement

 

Introduction

                La violence fait l'objet de nombreuses analyses dans les médias:  ouvrages, articles, émissions, conférences. Chaque auteur émet sa propre définition. Elle est habituellement descriptive et donc spécifique à son auteur et à son vécu. Il est possible de distinguer deux types limites de violences:

·       l'une est aléatoire et résulte de multiples facteurs sociaux éducatifs. S'il y a asservissement de la victime, cet effet est transitoire et n'est pas l'objectif de l'auteur de la violence,

·       l'autre est déterminée dans une volonté d'asservissement de la victime par l'auteur de la violence: c'est ce qui est désigné communément par le harcèlement.

 

                La multiplicité des définitions  fait du harcèlement une relation humaine quelque peu obscure, chacun pouvant apporter sa propre définition et donc appeler harcèlement ce qui parfois n'est qu'un conflit. Comme Il n'existe pas de consensus sur la définition, ceux qui ont à apprécier le harcèlement sur le plan administratif, juridique ou relationnel restent dubitatif  lorsqu'ils ne rejettent pas la notion de harcèlement au profit de celle de conflit du travail.

                Dans un esprit de simplification et de synthèse, nous proposons[1] la définition suivante qui permet de rassembler l'ensemble des  relations humaines défaillantes dans lesquelles un principe de soumission non accepté est imposé et qui aboutit tôt ou tard à une relation harceleuse.

 

Concept de référence. « Le harcèlement est l’ensemble des dispositions mises en oeuvre par une personne (le harceleur), qui abuse de son pouvoir d’une manière répétée afin  d’obtenir une soumission totale ou partielle d’une autre personne (le harcelé), sans que le libre arbitre et les droits fondamentaux de cette dernière soient reconnus et respectés dans le cadre de son autonomie. »

Où ?

 

                L'ensemble des milieux dans lesquels les relations humaines se développent peut être classé en 3 groupes qui se distinguent par la qualité de la relation:

1.     Les institutions ou systèmes à hiérarchie forte, réelle ou virtuelle, où une dépendance aux ordres est sollicitée en échange d’une attitude protectrice injustifiée. Ce sont des institutions comme

·         L'Education Nationale, l'Armée, les institutions religieuses, les centres de recherches.

·         Certaines entreprises du monde industriel ou commercial où la conception paternaliste ou patriarcale est renforcée.

·         Le milieu familial.

2.     Les institutions contractuelles où la relation est basée sur un contrat librement consenti de part et d'autre. Dans cette catégorie, il est possible de trouver les entreprises industrielles ou commerciales dans les zones ou le chômage n'existe pas.

3.     Les institutions à caractère associatif ou syndical où la hiérarchie, généralement élue,  est réduite à un échelon central associé à un ensemble d'exécutants égaux entre eux. Tous les membres sont liés entre eux par une relation respectant une même idéologie.

 

Les acteurs

 

                Les usagers de l’école se répartissent en 4 groupes : les élèves ou étudiants, le personnel enseignant, les responsables administratifs et le personnel technique et administratif. A ces groupes s’associent parfois deux autres groupes : les responsables académiques et ministériels. Dans le cas du bizutage, bizarrement, un nouveau groupe apparaît, c'est celui des anciens élèves de  l'établissement dont il est possible de se demander s’il est spectateur, arbitre ou harceleur ?

 

Le harcèlement nécessite trois conditions:

1.     Un face à face entre une personne autonome ou qui projette une image forte d'autonomie dans le domaine et une autre qui est en déficit d'autonomie ou qui croît l'être.

2.     Un pouvoir du second sur le premier, ce pouvoir peut être hiérarchique, affectif, de "gueule", physique, etc. De ce pouvoir découlent les différentes situations de harcèlement qui ont été dénommées: harcèlement moral, conjugal, bizutage, plafond de verre ou chaussures de plomb, « ageing », kidnapping, etc.

3.     Qu’il n’y ait aucun arbitre.

 

Le harcèlement comprend 5 catégories : le harceleur et le bourreau, le harcelé, le spectateur et l’arbitre

Les 5 groupes d’usagers sont susceptibles de se placer dans chacune des 4 catégories du harcèlement ce qui a pour conséquence un grand nombre de types de harcèlement différent.

 

Le harcèlement peut être horizontal

·         Entre élèves ou étudiants : bizutage, brimade, intimidation

·         Entre enseignants: bizutage, intimidation

ou vertical ascendant et descendant :

·         Entre enseignant et élèves

·         Entre responsable d’administration et enseignant et réciproquement, parfois entre responsable administratif et élèves.

 

Dans le harcèlement, il y a une notion de pouvoir du harceleur sur le harcelé. Ce pouvoir peut être hiérarchique "harcèlement descendant" appelé "harcèlement moral", celui du nombre ou celui de la plus grande "gueule" ou du plus actif, c'est le cas du "harcèlement horizontal" appelé "brimade, intimidation ou bizutage" et "ascendant" appelé aussi "cabale".

 

 

Harcèlement.

 

                Pour le personnel de l’établissement, fonctionnaire, il a les caractéristiques classiques du harcèlement moral appliqué à des personnes inamovibles. Pour les étudiants entre eux, il relève plus de la traque agressive et  aboutit parfois à des formes particulières comme  l'intimidation-brimade, le bizutage, le racket ou classiques dans la classe.

1.     Intimidation Brimade

Dans le cas de l’intimidation-brimade et du bizutage, seules des personnes du même niveau sont concernées, les autres usagers de l'établissement ont un rôle de spectateur-arbitre.

 

1.     Elèves et étudiants

 

Intimidation et brimades. Le terme « intimidation »  a son origine dans les écoles canadiennes, en France, elle s’appelle brimade. Celui qui subit est introverti. Maître de lui, il travaille efficacement lorsqu’il est délaissé. Il est calme et sensible et s’effondre à un plus faible niveau que le harceleur : extraverti, exubérant et à la recherche de stimulation.

·       Chez les garçons, l’intimidation-brimade est une attaque peu dangereuse des plus faibles. L'affrontement est parfois verbal, mais souvent physique. L'aspect publicitaire n'est pas négligé par le "méchant" qui souhaite ainsi renforcer son emprise sur les spectateurs et faire peur à  ceux d'entre eux qui auraient la mauvaise idée de se placer en arbitre. Elle exprime une demande de soumission implicite à celui qui se pose en chef et qui réclame ainsi une reconnaissance afin d'atténuer l'angoisse d'être concurrencé.

·       Pour les filles et fillettes, plus secrètes, c’est une défense à l’égard de leurs congénères plus fortes. La mise à l'écart est de rigueur associée à la médisance. Ici, la soumission est dans l'obligation imposée de rester à l'écart et d'être mis à l'index par un discours déprécié.

·       Entre garçons et filles, il est bien souvent une tentative de relation de séduction ("amoureuse") pervertie par une timidité incontrôlée. La demande de soumission est dans le non-dit et la maladresse de taquineries ou plus répétées.

 

2.     Fonctionnaires. Personnel enseignant

 

L'observation des brimades et intimidations entre fonctionnaires montrent que celles-ci relèvent de celles en vigueur entre les fillettes. Il est en effet possible de retrouver:

·       le secret

·       La défense à l'égard d'un enseignant dynamique, efficace dont l'"aura" est bien perçue par les élèves et étudiants.

·       La mise à l'écart. Dans l'enseignement supérieur, les exemples de placardisassions sont nombreux.

·       La médisance qui se traduit par des rapports oraux effectués auprès des instances administratives, académiques ou nationales spécifiques à l'établissement et à la catégorie de l'enseignement.

·       L'inamovibilité du fonctionnaire laisse penser que cette mise au placard ne peut jamais aboutir à une conclusion. L’impossibilité de muter renforce l’effet du harcèlement en livrant perpétuellement la victime au « Minotaure » tant que Thésée  (l’arbitre) n’apparaît pas pour tuer le monstre.

 

 

Violences entre administration et personnel

       Ce sont souvent des abus de pouvoir déguisés. Entre autres, sans motif et sans concertation:

·         changer l'emploi du temps d'un enseignant en permanence,

·         modifier le programme d'enseignement en cours d'année,

·         refuser perpétuellement de tenir compte des souhaits recevables d'un formateur,

·         inventer de nouvelles règles spécifiques et exclusives pour une personne,

·         supprimer le service pédagogique d'un enseignant,

·         déplacer de service ou d'unité un agent administratif ou technique,

·         modifier sans raison les structures de l'institution afin de diluer les responsabilités de l'un ou de l'autre contrairement à la loi.

 sont des actes vexatoires et inutiles, des abus de pouvoir, des mesures d'autorité contraires au bon sens donc absurdes. Ils sont caractéristiques de la violence qu'une autorité peut exercer sur un fonctionnaire subordonné en toute impunité et sans qu'il puisse faire appel devant une commission de médiation qui n'existe pas.

 

       Dire du mal, se moquer, injurier, menacer de l'index, appeler en bougeant l'index recroquevillé un enseignant ou un membre du personnel administratif, publiquement, en privé ou en cachette indique clairement que son auteur ne respecte pas les règles de la courtoisie ni les droits fondamentaux de la personne qui est visée.

 

 Violences entre un enseignant et la structure.

       La violence créée à l'égard d'un membre enseignant, ou non, par la structure ou par les étudiants appelle une réponse de la part de la personne ciblée:

·         critiquer publiquement sans cesse l'administration pour tout et pour rien en toutes circonstances,

·         ne pas demander d'explication afin de pouvoir médire de la structure sur une parole ou une action insatisfaite,

·         mettre en cause publiquement le système hiérarchique en y associant les élèves ou le personnel administratif et technique,

·         refuser, sans raison, de respecter les différents niveaux de commandement,

·         monter une cabale envers le responsable de la structure,

sont un exemple des violences exercées par un membre du personnel à l'égard de son unité et de son responsable. Ces méthodes indiquent clairement que ce particulier règle un compte, avec la structure ou son représentant, en un lieu qui n'est pas prévu pour cela.

 

Personnels techniques et administratifs

Les brimades relèvent du harcèlement moral classique en entreprise avec une différence: l'impossibilité d'être licencié conduit à l'impossibilité de conclure comme dans le cas précédent.

2.       Bizutage.

Le bizutage n'est pas réservé aux seuls élèves et étudiants, il caractérise les actes de violences physique ou psychologique subis par une personne qui arrive dans un groupe de la part des membres du groupe les moins autonomes. Dans le cas des utilisateurs du milieu éducatif, le bizutage met souvent face à face des étudiants âgés avec des primo-entrants mais parfois des enseignants impla                ntés vis-à-vis de ceux qui arrivent.

Les premiers sont installés dans leur situation et sont probablement déçus par un enseignement exigeant donc angoissant. Certains sont en situation d'échec ou le croient. Tous ressentent un manque d'autonomie lié à la pédagogie des études  qui ne laisse pas de place à l'initiative et à la responsabilité. Bien souvent la seule demande des responsables académiques est une demande forte de soumission à un règlement pédagogique ou de discipline pendant l'enseignement sans que pour autant la qualité de l'enseignement soit irréprochable. Hors enseignement, la règle administrative est le laxisme le plus complet au nom d'un des droits fondamentaux de la liberté.

Les seconds arrivent avec leur capacité de réussite,  l'accomplissement de leur rêve d'intégration et leur espoir  d’un enseignement où l’apprentissage se fait sans contrainte. C'est dans ces deux concepts que se situe leur autonomie.

 

C'est cette autonomie qui vient exciter le manque d'autonomie des anciens et faire le lit du bizutage. Bizuter revient alors, pour les anciens,  à s'approprier l'autonomie des arrivants par un procédé archaïque (c’est-à-dire de la petite enfance) de soumission dans un seul sens. En demandant une soumission aux seconds, les premiers tentent de s’approprier cette capacité de réussite, mais transforment le rêve en cauchemar et l'espoir en un sentiment d'incapacité à maîtriser l'avenir dans un dégoût généralisé.

Par son discours justificatif des insanités, les anciens, adultes de la vie active, indiquent clairement leur incapacité à progresser vers une autonomie citoyenne. Tout se passe comme s'ils en étaient restés à un fonctionnement archaïque définitif  et étaient incapables d'évoluer dans le cadre de relations plus humaines.

 

 

Comment les responsables académiques peuvent-ils croire que l'on forme une nation d'hommes reconnus socialement par une relation humaine basée sur des valeurs dénaturées, tant pour les élèves que pour les maîtres ?

3.       Le racket

Il y a là encore une demande de soumission financière par la captation d’argent ou d’objet de marques. Le pouvoir est dans la force et le nombre des racketteurs. L’efficacité est dans l’absence d’arbitre en particulier à la sortie des écoles.

4.       Le harcèlement dans la classe

Le harcèlement dans la classe peut prendre deux formes opposées. Le harcèlement par l’enseignant en direction d’un ou de plusieurs élèves  et réciproquement le harcèlement du professeur par un ou plusieurs élèves au sein de la classe. Selon les différents niveaux d’enseignement, la formation des enseignants, la structure hiérarchique, l’age des élèves et la présence des parents changent entraînant des formes de harcèlement spécifiques.

 

·         Le professeur est le harceleur

Dans tous les niveaux d’enseignement, ce type de harcèlement est classique et reconnu dans les stéréotypes comme: "Tête de turc ou bouc émissaire" ou "Chouchou" sans oublier le "Fayot". Les caractéristiques du harcelé : introverti et autonome sont également celles de la « tête de turc », ceci explique que très souvent le harcèlement est dirigé vers les élèves « surdoués » qui ne respectent pas la norme de l’élève moyen.

Le « Tête de turc ou bouc émissaire » est celui qui est rendu coupable des torts et des fautes des autres et qui est accusé d'être responsable de tous les malheurs. C'est une victime par excellence. Autonome ? Peu importe ! Ce qui compte: c'est ce qu'il est pour les autres. Il ne peut pas être coupable et responsable sans être capable d'indépendance dans l'esprit de ceux qui l'accusent, sinon ils seraient leur complice.

Le « fayot » lui aussi tente d'atteindre le but qui lui est fixé: réussir. Il ne tente pas de gagner par un travail personnel, car il s'en sait ou s'en croit incapable, mais par une image de soumission de chaque instant à l'autorité donc au maître. Il n'est pas harcelé par le maître, puisqu'il lui semble soumis. C'est dans cette allégeance voulue, acceptée et recherchée que se situe le non-comformisme vu par ses pairs. Cette autonomie dans la dépendance fait du "fayot" la cible de ses camarades moins souverains, c'est-à-dire plus distraits, moins travailleurs et moins soumis volontairement. Cette dépendance au maître est parfois malicieuse puisqu'elle redonne une forte liberté à celui qui travaille dans le cadre d'une stratégie de conquête du pouvoir au travers de celui qui le possède et qui lui en cède une parcelle.

Le « chouchou » est dans une situation identique et opposée à celle du "fayot". Il n'est pas soumis au maître, par contre celui-ci évolue dans une relation de dépendance affective avec son élève qui progresse dans une attitude affranchie même si parfois, malicieusement, il profite de cette situation. Cette relation de dépendance se traduit souvent par de la violence, le maître ou l'élève coupant ce lien par un comportement en retrait.

 

Certaines agressions spécifiques à l’enseignant reviennent au  fil des établissements : confusion entre note pédagogique et disciplinaire, interrogation méchante, confusion et mélange entre écrit et oral, non-respect de la défense, acharnement.

 

·         Les élèves harcèlent  l’enseignant

Compte tenu de la répétition des incivilités et, parfois, de l'incapacité des responsables à résoudre les conflits, il existe une dégradation de la notion de l'inacceptable. L'outrage verbal est toléré car il est considéré comme une parole déplacée parfois amusante ! L'injure: délit de justice, est assimilée à une plaisanterie, l'atteinte à l'intégrité physique est justifiée par le délassement des protagonistes ou de l'un d'entre eux tandis que l'autre généralement subit. Dans beaucoup de cas, l'agresseur fait du bruit et espère ainsi attirer l'attention de ses camarades à défaut de celle de l'enseignant. Certains élèves n'existent que dans le vécu d'une autre culture et la pratique d'un code d'honneur lié à la loi du silence. Culture et code sont associés à une certaine connivence et à une forme de partage de valeurs propres et de références, qui ne sont pas celles des citoyens, mais celles qui sont issues du groupe. Aujourd'hui, des actes, dont l'objectif est la violence et l'atteinte à la dignité et à l'intégrité de la personne physique, apparaissent. Ils indiquent clairement qu'il ne s'agit plus seulement que de faire du bruit.

·         D'une part, il y a une volonté d'atteinte et de destruction chez l'autre en réponse à l'humiliation et au manque de respect qui est ressenti personnellement dans le cadre de l'institution. Humiliation et irrespect, vrais ou imaginés, sont supposés provenir des acteurs principaux, entre autres des enseignants.

·         D'autre part, toutes les techniques d'évitement, de fraude, de mensonge deviennent une preuve d'intelligence relative mais surtout d'une possession de l'autre: "je l'ai bien eu" en réponse à la soumission qui est supposée réclamée.

·         Enfin, les schémas classiques "révolte-soumission" et "agression-répression" apparaissent et s'incrustent dans les relations scolaires, invitant à penser qu'il existe un manque d'émancipation évident pour chacun des acteurs et que l'école ne répond plus à cette ambition d'acquisition de l'autonomie ni à cette éducation de la vie sociale.

 

Conclusion

 

Il y a harcèlement parce qu’il n’y a pas d’arbitre car s’il y en avait un, il n’y aurait pas de harcèlement.

 

 

 

[1]Ph.ARQUES« Le harcèlement dans l’enseignement. Causes. Conséquences. Solutions. » Editions l’HARMATTAN. Paris

 

 

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